Photographies numériques noir et blanc.
Novembre 2022
« Vers l’insignifiant: Flaubert, Les Trois Contes | Zola, Au bonheur des Dames | Proust, Un amour de Swann »
Voir l'articleAinsi, je détruisis Proust, Flaubert et Zola, jusqu’à l’insignifiant. Je m’acharnai contre ces livres de poche. Je les exposai à leur funeste destin: celui d’une dispersion annoncée sur fond de dos carré-collé. Feuilleter le livre, je l’avais fait souvent. Mais ce jour-là, j’arrachai chaque page, une à une. La lecture ne consistait plus à «tourner la page», mais à l’extraire de sa gangue. Désosser, dépouiller, décortiquer, décomposer le livre. Et réduire à présent ses pages en miettes. Je déchirai chacune d’elles, méthodiquement, inlassablement. Un livre en tas, jusqu’à l’insignifiance des ruines d’une incohérente lecture. Ensuite, j’accommodai les restes. Les mots jusqu’alors intègres se dissolvaient. Détrempés, imprégnés d’eau, ils s’amalgamaient en une bouillie tiède: mots mâchés, mâchouillés, mâchonnés. Les histoires proustiennes, flaubertiennes et zoliennes se réinventaient en nouveaux feuillets. Le livre engendre le livre. À la profanation première, radicale et protocolaire, succède une attention renouvelée à l’oeuvre comme golem: en une patiente reliure, valant pour relecture et renaissance plastique des oeuvres littéraires. G. Flaubert, E. Zola et M. Proust, «phares » de la littérature française, restent connus auprès du grand public pour leurs interminables descriptions. Pauses au sein de l’action narrative, porteuses d’un réalisme feint, les descriptions désignent le réel, loin du livre. Décrire pour rendre l’objet présent, et passer outre le support papéristique. Cette qualité transitive du texte devenu simple signe s’étend à l’objet livre. Utile, fonctionnel, le livre de poche, produit en grand nombre et à moindre coût, finit même par faire l’économie d’une reliure. Dans cette profanation, le geste plastique transgresse le verbe, dans une atteinte à sa forme. Restitué à son non-usage, extrait de sa vocation transitive, le livre de poche nous fournit une matière à re-penser l’oeuvre, à la re-modeler, à se la ré-approprier. Détruire les livres, dans un geste iconoclaste, les rendre opaques, insignifiants, pour nous amener à prendre conscience, en paraphrasant R. Barthes, que le livre de jouissance est intransitif.