Cyanotype. 50 x 65 cm
Août 2020
« Entre le livre et la main, lecture critique du dossier "Textures : l’objet livre, du papier au numérique »
Voir l'articleLes livres artistiques matérialisent la nuance d’un geste ordinaire : dans leur grande diversité, ils rendent compte des multiples manières de lire l’art, dans un rapport physique et quasi-sculptural à celui-ci. Pour cause, la manière est une attitude étymologiquement fondée sur la « main » (du latin manus). La manière est la forme substantivée de l’ancien adjectif manier « qu’on fait fonctionner à la main ». La lecture procède donc d’abord d’une manus – certains évoquent aussi le lien entre le livre et le ductus (le tracé par la main). La lecture est intrinsèquement geste ; en cela, faisons de la « lecture de l’art » un syntagme actif, en devenir, se définissant dans ses reconfigurations multiples face aux œuvres.
“Les réseaux, virtuels ou matériels, ont l’épaisseur et la chaleur d’un textile (étymologiquement), d’une étoffe (Jean-Luc Nancy parle « d’étoffe de sens»). L’« avènement de la texture de la page à l’écran », tel qu’annoncé par Chassagnol et Le Cor, réhabilite un paradigme haptique de compréhension du monde. Cet événement nous rappelle également ce que le « digital » implique étymologiquement : la main et ses doigts. Aussi, la lecture de la texture est celle qui se loge entre le livre et la main, celle qui nous fait littéralement nous « mettre le doigt dans l’œil ». Le paradigme haptique que Herman Parret appelle de ses vœux est en effet propre à faire se décentrer la lecture d’un modèle oculocentré. L’hégémonie de l’œil et de la vision a construit des manières de penser et de sentir qu’il est difficile de remettre en question. C’est pourtant la tâche que Parret se donne. La construction de l’espace dans lequel nous sentons n’en passe plus selon lui par un système optique. L’organisation hiérarchique des cinq sens, mise à l’épreuve par le corps sans organe deleuzien, est démantelée : la ruine du régime optique sert le passage à un régime haptique de lecture et d’expérience. Les contributions présentes dans le dossier « Textures… » interrogent donc une phénoménologie de la main qui feuillette le livre, qui navigue de page-écran en page-écran. La « touche » et la « caresse » sont au cœur des gestes de lecture, la réceptivité et la signification qui en découlent, essentiellement liées à la matérialité du support.”