Livrer le monde : illettrisme esthétique et mantique de l’art actuel.

Thèse de doctorat en arts (histoire, théorie, pratique) sous la direction de Bertrand Prévost

Date

10 juin 2021

Lieu

Salle des thèses – Maison de la recherche, Université Bordeaux Montaigne (Pessac)

Jury

Marc Perelman ( Président du jury et rapporteur), Muriel Pic (rapporteur), Magali Nachtergael, Laurence Corbel, Pierre Sauvanet.

Questionner la façon dont l'art « livre le monde » – dans toute la polysémie de l'expression – est une invitation à s'intéresser à deux figures emblématiques de la production artistique actuelle : le livre et la bibliothèque. Pris dans leurs occurrences plastiques et empiriques, esthétiques et métaphysiques – mais également en tant que concepts à part entière – livres et bibliothèques s’entendent à la fois comme modèle théorique et accès pratique d’une expérience lectrice (Marielle Macé) de l'art. Alors que les études sur la tyrannie de la lisibilité se multiplient (Georges Didi-Huberman, Emmanuel Alloa, Muriel Pic, Maud Hagelstein, etc.), l'art actuel n'a de cesse de mettre à mal le paradigme lecteur qui semblait régir nos habitudes perceptives. Les théories iconologiques et la métaphore du livre de la nature ont fait émerger un paradigme de lisibilité classique que les artistes réfutent dans une critique plastique de la lisibilité pour lire l’œuvre d'art au risque de l'illisibilité.

La lecture, si elle parcourt le vocabulaire historique et esthétique de l’art, reste pour beaucoup un impensé des théories plastiques de l’image. Toujours sous-entendue, l’idée d’une lecture de l’art (et ses postulats) n’est que trop rarement explicitée – et trop souvent confondue avec les notions d’interprétation et d’herméneutique. L’intensification des phénomènes d’altération du livre et de la bibliothèque vient interroger la lecture comme principe de figurabilité et d’expression. Cette thèse entend questionner les manières de lire une œuvre. Après les réflexions de G. Didi-Huberman et E. Alloa, il s'agira donc de se demander comment « lire ce qui n'a jamais été écrit » ? Sans évincer la notion de lecture, nous tenterons d’envisager un système de lecture propre à l’œuvre d'art, alternatif – qui ne rabatte pas un système de lecture textuel sur une œuvre plastique. Que serait donc une lecture plasticienne des œuvres ?

Assurément, une lecture qui se soustrait aux logiques strictement sémiotiques pour amorcer une lecture faite de corporéité(s), dans une approche symptomatique et somatique des œuvres et de leurs discours. L’appel à la mantique (plutôt qu’à une herméneutique) et la proposition de renouer avec une dimension affective et divinatoire de la lecture des œuvres, nous ouvre des perspectives empathique (avec comme point de départ le modèle phénoménologique de Maurice Merleau-Ponty), cognitive (en la question de l’attention traitée chez Jean-Marie Schaeffer et Yves Citton), mais aussi éthique ou politique (à travers l’hypothèse d’un illettrisme esthétique et en interrogeant la mise au ban du sensible et de l’empathie dans les pratiques pédagogiques et scientifiques). La perspective métaphysique, dépassement et continuité de celles-ci, nous aidera à penser un plan de lecture transversal aux choses, un « ça lit » ou principe métaphysique lecteur à l’œuvre dans l’œuvre et son spectateur. Par une approche cosmo-esthétique, garantie d’une histoire naturelle de l’art, nous en appellerons à des lectures tour à tour constellatoire, mantique et empathique, nourries poétiquement aux racines divinatoires du présage.

Mots-clés : Lecture - Dans l’art, Lisibilité, Iconologie, Arts plastiques, Livre - Dans l’art, Bibliothèque - Dans l’art, Mantique, Illettrisme esthétique, Art actuel, Visualité.